
Va jusqu’où tu pourras, projet ambitieux de Sedef Ecer, Michel Bellier et Stanislas Cotton mis en scène par Joëlle Cattino au théâtre Joliette Minoterie
Invisibles odyssées
du 7 mars 2014 au 12 mars 2014
On a suivi le projet, des premières lectures à La Friche à la présentation d’une étape de travail au Gymnase. On a apprécié la pièce à Port-de-Bouc au printemps 2013 (voir Zib’61).
Quel bonheur de voir (enfin !) le Dynamo théâtre se poser quelques jours à Marseille (au moment de la journée de la femme, en plus !), accueilli au théâtre Joliette-Minoterie pour quelques représentations de la trilogie consacrée aux femmes migrantes, Va jusqu’où tu pourras. Un projet ambitieux mis en scène par Joëlle Cattino (elle en parle très bien sur notre web radio), et porté par trois auteurs, la Turque Sedef Ecer, le Français Michel Bellier et le Belge Stanislas Cotton. Un long travail de collaboration qui a su préserver la langue et le tempo particuliers de chacun tout en offrant un ensemble d’une belle cohérence. Résultat : un spectacle percutant qui mêle, le plus souvent avec bonheur, les images vidéo, la musique live et les paroles (au micro ou a cappella, c’est selon). Deux heures environ d’un théâtre intense, plein d’éclats poétiques, qui interroge avec pertinence non seulement les migrations au féminin en ce début de siècle mais également le regard que les Européens, et particulièrement les artistes, portent sur ces femmes migrantes. Car des tribulations de Perce-neige et de ses compagnes d’infortune, la vidéaste (interprétée par Joëlle C. herself) fait de l’art ! Contrepoint ironique sans doute mais question plus sérieuse qu’il n’y paraît. La visibilité des femmes migrantes dans l’espace public, tel était d’ailleurs l’intitulé de la table ronde qui s’est tenue le 8 mars après-midi au théâtre. Sous la houlette de la politologue Marie Poinsot, sociologues, psychologues, urbanistes et doctorantes, venus de France mais aussi de Turquie, de Belgique et de Roumanie, ont débattu de cette question longtemps méconnue mais devenue depuis une quinzaine d’années un axe fort de la recherche. De fait, selon Mirjana Morokvasic, si les migrations féminines ont toujours existé (jamais moins de 40% tout au long du XXe siècle en France et aux EU), elles sont longtemps restées dans l’ombre. Aujourd’hui, principalement grâce aux études féministes, «les femmes migrantes sont reconnues comme acteures de leur rôle économique». Paradoxalement, on assiste à une montée en puissance de stéréotypes visant à présenter ces femmes comme forcément assistées, forcément victimes. Selon la chercheuse, la visibilité des femmes migrantes demeure «partielle et partiale». Il faudrait ainsi sortir des deux clichés couramment étudiés, celui de la «domestique» et celui de la «prostituée». Beaucoup d’autres figures féminines restent à mettre en lumière pour une visibilité véritablement en accord avec la réalité du monde contemporain. L’art reste un bon moyen de déplacer stéréotypes et représentations ; c’est ce qu’a montré la deuxième table ronde, animée par Samia Chabani. Après avoir rappelé l’importance des acteurs artistiques et de la fiction pour rendre plus visible l’histoire de l’immigration, la déléguée générale d’AncrAges a donné la parole à trois femmes artistes dont le travail creuse les questions d’identité et de mémoire. Toute l’œuvre dramatique de Sedef Ecer (elle-même a émigré) tourne autour de la question de la migration. Frédérique Fuzibet, du Théâtre de la Mer, a évoqué son projet au long cours autour de Médée, figure antique de l’exilée, de l’étrangère, de la répudiée. Quant à Michèle Addala, de la Cie Mises en scène, elle a parlé avec passion du travail qu’elle mène depuis trente ans avec les habitants d’un quartier populaire d’Avignon, des ateliers de parole qu’elle y a mis en place. «Faire théâtre», dit-elle, pour aller «au cœur de la parole de ces gens, au cœur de leur vie». Et la rendre plus visible ?
FRED ROBERT Mars 2014
Va jusqu’où tu pourras a été représenté au théâtre Joliette Minoterie, Marseille, du 7 au 12 mars Ecouter l’interview de Joelle Cattino sur WRZ ici